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Le temps d'une journée... Visite estivale à Courances - juin 2013

Le parc aux 14 sources et aux 17 pièces d’eau, le plus bel exemple d’un jardin d’eau de la Renaissance aujourd’hui conservé, montre une harmonieuse évolution au fil du temps. On ne sent pas la lourdeur des superpositions des étapes historiques mais une légèreté et une fluidité constantes qui s’équilibrent en permanence, rythmées par le bruit de l’eau omniprésente.

Vendredi 21 juin 2013 : Visite des jardins de Courances
© APJRC / Michèle QUENTIN diaporama de photos sur notre bulletin page 28
© Photographies : B. Boudin et B. Boulier

PLAISIR ET SÉRÉNITÉ
Avant tout, on éprouve du plaisir à se promener dans ce parc. Le parc aux 14 sources et aux 17 pièces d’eau, le plus bel exemple d’un jardin d’eau de la Renaissance aujourd’hui conservé, montre une harmonieuse évolution au fil du temps. On ne sent pas la lourdeur des superpositions des étapes historiques mais une légèreté et une fluidité constantes qui s’équilibrent en permanence, rythmées par le bruit de l’eau omniprésente.

UN PARC SUBTIL AU CŒUR D’UNE FORÊT DOMANIALE
Le parc de Courances se déploie le long de la rivière Ecole, à une cinquantaine de kms au sud-est de Paris; toutefois l’environnement reste très campagnard et boisé. Grand territoire de chasse, le domaine de Courances est un lieu de villégiature renommé.
Les sources y sont abondantes, le terrain spongieux. Les terres saturées d’eau accueillent naturellement les canaux. D’autre part, l’eau, autrefois élément défensif aux abords des châteaux, devient un agrément du jardin à la Renaissance.
Les propriétaires de Courances ont utilisé l’abondance des eaux pour construire une mise en scène grandiose du parc, diversifiant les bassins et les canaux. Si un procès-verbal d’arpentage dressé en 1627 montre une esquisse du parc, un article de Françoise Boudon démontre l’antériorité du projet et propose de nouvelles hypothèses sur le jardin aux XVI° et XVII° siècles. Cosme Clausse achète en 1552. Dans le jardin du château que les Clausse vendent à Gallard en 1622, l’eau participe à la composition selon un mode en vigueur depuis la fin du XVIème siècle au moins.
Monique Mosser note que c'est avant 1756 que fut creusé le Miroir devant le château, spectaculaire pièce d'eau rectangulaire d'un hectare où se reflète le château.
Si la structure générale mise en place à la fin du XVIème et dans la première moitié du XVIIème siècle n'a pas connu de profonds bouleversements, il n'en est pas moins intéressant d'analyser les changements qui se sont succédés dans le parc pendant les trois siècles suivants. Et pourtant, chaque génération, chaque propriétaire attentif au caractère du lieu – manque de relief, abondance des eaux, présence forestière – a imprimé sa marque, reflétant ainsi l'évolution des goûts en matière d'art des jardins sans jamais en bouleverser l'harmonieuse ordonnance.
Lorsque Jean-Louis de Ganay récupère son domaine en 1948, il cherche le moyen le plus approprié pour entretenir cette propriété, qui était très dégradée. Les Allemands ont construit des baraquements un peu partout, avec des fondations en béton armé, des choses invraisemblables… Il faut tout nettoyer, les conditions économiques ont radicalement changées donc il n’est plus question pour le jeune marquis de Ganay d’avoir un bataillon de jardiniers pour entretenir les allées en sable de son château. Chance extraordinaire pour Courances, monsieur de Ganay est ingénieur agronome et trouve ici un terrain d’expérimentation pour tester de nouvelles méthodes d’entretien tout en respectant le site grandiose. Il modernise radicalement l’exploitation du domaine tout en travaillant avec beaucoup de sensibilité. Cela conduit les Ganay à n’avoir aujourd’hui pour l’entretien que 3 jardiniers à l’année pour les 70ha. Un jardinier supplémentaire s’occupait à plein temps du jardin japonais, travail qui est maintenant externalisé.

L’EAU QUI ACCOMPAGNE LA PROMENADE
Les boisements qui entourent le parc de Courances lui donnent une épaisseur insaisissable et affermissent la composition spatiale. Le traitement général des allées en tapis de verdure, l’unité des matières végétales, simples et raffinées, la taille omniprésente le long des avenues plantées contribuent à la mise en scène croissante de l’eau, rythmée par une dimension sonore toute particulière. Eau naturelle, artificielle, courante, plate, jaillissante, forcée, vive, dormante…
Pré Bernay, Salle d’eau et ses quatorze gueulardsen tête de dauphins, bassin de la Gerbe, Grand Canal, Rond de Moigny, Fontaine du Roy, Miroir… l’eau est travaillée subtilement tout au long du parcours, provoquant des surprises ou accompagnant
majestueusement les allées. La double promenade d’eau perpendiculaire à l’avenue d’arrivée invitent le promeneur à découvrir le domaine et le font déjà rêver: pièce d’eau des Platanes Simples et pièce d’eau des Platanes Doubles.
Quatorze sources arrosent le parc de Courances. La majorité d’entre-elles jaillissent dans le parc, les eaux sont recueillies par un système de captage empierré, que l’on découvre en empruntant certains passages à travers les haies. Dans le sous-bois près du château, le Dôme, restauré en 2005, est un étonnant édifice architectural carré posé dans un bassin quadrangulaire, vestige du parc de la Renaissance.

UNE RÉINVENTION DU PARC
En 1872, abandonné depuis quarante-deux ans, Courances tombait en ruine. L'acquisition par le baron Samuel de Haber sauve le domaine. Le riche banquier entreprend de gigantesques travaux dans la propriété sous la direction de l'architecte Hippolyte Destailleur, fait procéder au curetage de l'ensemble des douves, des bassins et des canaux.
Le baron Haber marie sa fille unique avec le comte Octave de Béhague. Berthe (1868-1940) et Martine (1870-1939) de Béhague sont orphelines lorsqu'elles héritent de leur grand-père en 1892. Etant l'aînée, Berthe reçoit la propriété de Courances. Son mari, le comte Jean de Ganay, et elle, décident de faire appel aux célèbres paysagistes en vogue Henri et Achille Duchêne pour embellir le parc. De 1899 à 1913, les Duchêne ont passé eux-mêmes 177 journées dans le domaine. Attentifs aux souhaits des propriétaires, le père et le fils remodèlent les axes principaux du parc, aménagent des parterres de broderies devant la grande façade du château, déploient tout leur savoir-faire et leur sensibilité.
En contraste avec la restauration « à la française » du parc, Berthe entreprend la création d’un surprenant Jardin japonais. Celui-ci veut évoquer un jardin de thé
japonais traditionnel, avec son île artificielle et ses arbres colorés, aux formes tortueuses, sa cascade et ses tapis de mousses, ses essences exotiques. Il se contemple aujourd’hui comme un tableau, on ne peut y accéder.
L’histoire continue aujourd’hui avec Valentine de Ganay qui s’emploie avec énergie et passion à maintenir la magie du lieu. Une collection d’hydrangeas rares et raffinés derrière le Dôme fait la transition avec la découverte du jardin japonais. Parallèlement, la jeune châtelaine ambitionne de «réinventer l'agriculture» sur 500ha autour du château, après avoir créé dans le domaine un potager où ne sont produits que des fruits et légumes biologiques.

UNE PROMENADE REMARQUABLE
Nous avons visité le parc de Courances avec Christophe Morin, maître de conférence en histoire de l'art à l'université de Tours, spécialiste de châteaux et de jardins et habitué de Courances.
Au-delà de la lecture passionnée et très instructive donnée par notre guide, la perception du parc s’est faite tout naturellement au fur à mesure de la promenade et c’est avec beaucoup de regret que nous avons dû quitter cet imaginaire poétique, si fort et si sensible.

Je vous recommande la lecture de l’excellent livre Courances sous la direction de Valentine de Ganay et Laurent Le Bon.
Courances, éditions Flammarion (2003) Prix du livre La Demeure Historique, Prix St Fiacre.

Mais surtout, allez marcher dans le parc de Courances et écouter les eaux !