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La longue histoire des jardins de Champ de Bataille - juin 2007

Sur les traces de la « Promenade à Champ de Bataille »

© APJRC / Michèle QUENTIN

Une journée au château du Champ de Bataille dans l’Eure. Avec extraits du livre « Promenade à Champ de Bataille »
Une trentaine d’adhérents de l’association se sont donnés rendez-vous au château du Champ de Bataille, à une centaine de kilomètres de Paris. La Normandie nous gratifie d’un temps presque clément, pied de nez aux torrents de pluie qui se sont abattus dans notre région ces dernières semaines.

Champ de Bataille est une histoire qui commence dès le Xème siècle , avec l’évocation de la grande bataille qui s’est déroulée sur les lieux même entre deux familles illustres. Au XVIIème siècle, Alexandre de Crépi, frondeur et ami du prince de Condé, est exilé par Mazarin qui gouverne la France pendant la minorité de Louis XIV. Condamné à résidence, Alexandre de Crépi décide alors de se faire construire un palais magnifique qui lui rappellerait les fastes de la Cour qui lui sont maintenant interdits. On suppose qu’il ait commandité le meilleur architecte et le meilleur jardinier de l’époque, les seuls documents qui subsistent aujourd’hui sont deux plans attribués à Le Nôtre.
Le temps passe, et comme beaucoup de propriétés, le domaine subit l’indifférence de certains propriétaires et l’outrage de la Révolution. Depuis le XIXème siècle, le château est maintenu dans un état « hors d’eau » et la végétation reprend ses droits.

C’est Jacques Garcia, l’actuel propriétaire, qui relève le défi en 1992. Célèbre décorateur, réalisateur de grands projets et grand collectionneur, il se passionne depuis son enfance pour Champ de Bataille et décide de lui redonner le faste qu’il mérite.
« Je fais la profession de foi, à travers mon métier, de redonner vie aux décors des XVIIème et XVIIIème siècles, je me suis attaché à restituer le même luxe, la même générosité, la même extravagance baroque dans la décoration intérieure que celle que l’on peut apprécier depuis toujours sur les façades extérieures de ce château. L’ensemble des collections que j’ai rassemblées depuis trente ans se compose en grande partie d’objets et de meubles qui proviennent des saisies révolutionnaires de 1792. Mon but était d’accomplir autour de ce joyau et de ce qu’il renferme un grand œuvre digne de lui, qui le pérenniserait et permettrait aux amateurs, encore éblouis par l’éclat de la France durant ces deux siècles, d’en retrouver la force créatrice. Il s’agissait aussi pour moi de m’inscrire dans une continuité, sans introduire de rupture entre la connaissance du passé et la modernité. »
En l’espace de cinq ans, Jacques Garcia ressuscite Champ de Bataille de ses splendeurs princières, livrant à cette demeure le meilleur de lui-même. La restitution des jardins à la française, dans l’esprit des créations de Le Nôtre, tels qu’ils avaient été pensés à l’origine, avec bosquets, parterres dessinés, bassins, allées, terrasses, plans d’eau, fontaines et perspectives, permettent de redonner à Champ de Bataille son unité initiale. 38 ha dessinés, nivelés, plantés, irrigués, une tâche titanesque qui font des jardins de Champ de Bataille, l’une des plus grandes réalisations de jardins privés en France depuis le début du XXème siècle.

Catherine sera notre guide tout au long de cette journée. Passionnée du lieu et des pensées de Jacques Garcia, elle nous entraîne dans la magie du rêve réalisé.
L’architecture des bâtiments est considérée depuis toujours comme un chef-d’œuvre du style baroque, et que l’on peut attribuer à Le Vau, certes sans preuve formelle, mais avec la force de l’évidence. Evidence et ampleur sont les grandes lignes directrices de ce projet somptueux, mélange subtil de la restitution dans l’esprit contemporain, où l’esprit d’atmosphère règne en maître.
Les intérieurs abritent les collections de Jacques Garcia, comme l’on pouvait en voir au XVIIème siècle. Le spectaculaire salon d’Hercule présente des collections de marbres dans le goût de l’antique à la manière des grands palais italiens. Les autres pièces reflètent également les références culturelles et esthétiques du maître des lieux et son goût classique baroque de l’époque Louis XIV. Les nombreux détails soulignent son talent de décorateur tel ce discret mais raffiné balai de cheminée en ivoire. Les pièces d’exception, de provenances illustres, sont disposées savamment dans chaque appartement. Dans la salle à manger, un impressionnant service en Sèvres de la fin du XVIIIème siècle, aux décors d’oiseaux, reste utilitaire. Un décor de théâtre auquel on a redonné vie et dans lequel les jardins constituent le fleuron du domaine. Catherine nous fait rencontrer Patrick Pottier, maître jardinier des lieux.
L’axe principal des nouveaux jardins symbolise la déclinaison des différents degrés reliant l’univers matériel (le château) à l’univers immatériel (la colonne en fond de perspective).

Le premier, le degré minéral, englobe les bâtiments, la Grande Terrasse et les deux bassins appelés Cabinets de Marbre. Le prolongement de la grande Terrasse conduit à un Portique à droite (évoquant la civilisation) et à l’Allée des Sphinx (topiaires) à gauche. ?
Le degré végétal s’étend sur le grand axe jusqu’au basin circulaire appelé la Source (évocation de l’océan originel). Au centre les parterres sont bordés par des cabinets de verdure. De part et d’autre du grand axe, plusieurs espaces se sont développés, dont la philosophie a été dictée par les différentes fabriques : Carrés de Diane et Apollon, comme un jardin de fantaisie, serres, orangeries et volières.
Le degré animal comprend le kiosque de la Salamandre, la Fourmilière et la pièce d’eau des Cygnes ornée du temple de Trésor de Léda : hommage à l’antique à travers de vastes tonnelles en forme de temples, buissons de roses pour les fêtes impériales et une vigne , trace d’un âge d’or homérique.
Le degré de l’humanité représente dans l’axe une perspective appelée la Voie, constituée de deux séries parallèles de douze paliers d’eau (symbole du double cheminement matériel et spirituel de l’être humain). La Voie est bordée de promenades en surplomb avec buis taillés en escaliers et bandes de lavandes. A gauche, la promenade s’ouvre au milieu sur le Théâtre de verdure, vision florentine de représentation avec des architectures minérales et végétales évoquant la sensibilité. En pendant, la promenade de droite s’ouvre sur un lieu de méditation, l’Hermitage.
Le degré de la conscience correspond à la zone de l’escalier d’eau appelée les Marches, symbolique du passage de la vie terrestre à la vie céleste. La partie du jardin située au-delà de cette zone est invisible depuis la Voie. Dans l’axe transversal, on découvre la Volière d’Actéon, symbolisant la mutation.
Le courant monte de la Voie et descend de l’escalier d’eau, les jets d’eaux jaillissent des bassins, prouesse hydraulique incontestable qui plonge le spectateur dans le ravissement du raffinement.
Il faut longer les 600 mètres du canal pour accéder au degré de l’esprit qui culmine par la sphère au sommet de la colonne. Le promeneur peut alors réfléchir à l’aboutissement du chemin parcouru, se retourner et contempler : le spectacle est sublime !
Le jeu et la gravité se mélangent dans ces jardins. Aux bosquets évocateurs d’atmosphères lointaines répondent les tracés rigoureux entraînant paradoxalement vers l’immatérialité. L’eau joue un rôle essentiel. Et si le visiteur hésite parfois, il ne peut que rendre hommage à la folle ambition artistique du créateur qui a su oser et plonger dans son rêve.