© APJRC / Michèle QUENTIN
Organisé par l’agence Mondes et Merveilles, ce voyage nous a permis de découvrir la richesse des parcs et jardins de ce Land allemand et d’apprécier, une fois encore, les brillants commentaires de Pierre de Filippis. Avant la description de nos visites, il est important de vous présenter le personnage d’Auguste II, dit le Fort, qui fit de son domaine un joyau de l’architecture baroque et dont les fêtes éblouissantes furent célèbres.
Frédéric-Auguste de Saxe, dit le Fort, naît à Dresde le 12 mai 1670 et meurt à Varsovie le 1er février 1733. Prince électeur de Saxe (sous le nom de Frédéric-Auguste Ier) de 1694 à 1733 et roi de Pologne (sous le nom d’Auguste II) de 1697 à 1704, puis à nouveau de 1709 à 1733, il fait de son état un véritable centre de culture. Sous son règne est établie la manufacture de Meissen, qui fait la renommée de la porcelaine de Saxe. Protecteur des arts, grand mécène, sa capitale Dresde devient la « Florence de l'Elbe » et il construit de nombreuses résidences royales. Admirables illustrations de son règne, nous découvrirons, tout au long de notre voyage, des ensembles baroques témoins de l’éclat du passé, symboles de pouvoir et de volonté de puissance.
Château de Wackerbarth (Radebeul)
Quittant Leipzig, nous arrivons dans la région viticole la plus orientale d’Allemagne. La route de vins de Saxe chemine le long de l’Elbe, ponctuée de pittoresques villages. Les collines dévoilent un paysage surprenant composé de longues rangées régulières de vignes scandées ça et là de pavillons de vignerons. Le château de Wackerbarth, situé entre Dresde et Meissen, marque de son empreinte cette région, avec ses vignes escarpées, étagées en étroites terrasses grâce aux murs de pierres sèches retenant la chaleur, et son élégant belvédère. Là même où la cour d’Auguste le Fort organisait des fêtes grandioses, se trouve aujourd’hui une manufacture moderne de mousseux et de vin, très prisés des allemands et des touristes étrangers.
Dresde (Capitale de la Saxe)
La « Florence de l’Elbe » est célèbre pour ses collections d’art et son architecture baroque. À la fin de la seconde guerre mondiale, un tiers de la ville est détruit. L'armée Rouge pille les musées de leurs chefs-d'oeuvre, ils seront rendus dans les années 1950. La ville est ensuite sous le régime communiste de la RDA, néanmoins des efforts de reconstruction de la vieille ville baroque sont entrepris.
Avec la réunification de l'Allemagne, les réédifications et les restaurations deviennent considérables, en égard à l'enjeu culturel exceptionnel de l'ensemble, et culminent en 2006 à l’occasion du 8ème centenaire de la fondation de la ville.
La vallée de l’Elbe, à Dresde a été inscrite, en 2004, sur la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO. Placé en juillet 2006 sur la liste rouge des sites du patrimoine mondial en péril, en raison du projet de construction d'un nouveau pont sur l'Elbe "Waldschlösschenbrücke", le site a été retiré de la liste du patrimoine mondial lors du Congrès de Séville de l'Unesco, en juin 2009.
Néanmoins, Dresde est toujours aujourd’hui un haut lieu du tourisme en Allemagne. La vieille ville baroque restaurée est composée de sites exceptionnels :
- La Hofkirche, la cathédrale catholique édifiée en 1737-1753, oeuvre de l’architecte Gaetano Chiaveri, est l’exemple le plus élégant du baroque tardif en Allemagne.
- La Frauenkirche, chef d’oeuvre de l’architecture évangélique, bâtie entre 1722 et 1743, dont la restauration est achevée en 2004.
- Le château abrite la Voûte verte de Dresde, bâtie vers 1560 à l’initiative du prince électeur Auguste, pour réunir ses collections. Les somptueux trésors du musée, le plus riche du genre en Europe, lui valent une renommée mondiale.
Aujourd’hui, deux parties composent le musée : la "Voûteverte historique" et la "Nouvelle Voûte verte", réouverte en 2006. Nous visitons cette dernière, qui présente de magnifiques objets d’art et de superbes chefs-d'oeuvre d’orfèvrerie.
Le Zwinger est le palais des rois de Saxe, érigé entre 1710 et 1728, oeuvre du sculpteur Balthasar Permoser et de l’architecte Pöppelmann. Le mot "Zwinger" désigne la partie située entre les remparts extérieur et intérieur d'une forteresse. Construit sur l'emplacement de l'ancienne forteresse de Dresde, cet ensemble baroque comporte un arc de triomphe unique, appelé Kronentor, et de ravissants pavillons qui servent à la fois d’orangerie, pour abriter les collections d’agrumes, de cadre à des manifestations et de galeries pour exposer les collections d’art, dont la magnifique collection de porcelaines. Le Zwinger est l’une des attractions majeures de la ville de Dresde.
Sur les bords de l’Elbe, la terrasse de Brühl, aménagée probablement par Knöffel pour le comte Heinrich von Brühl, jouissait d’un grand prestige quand elle fut aménagée au XIXe siècle et devint le "Balcon de l’Europe".
Jardins de Großsedlitz (Heidenau)
Sous le règne d’Auguste le Fort, la ville de Dresde se développe en une métropole d’art de rang européen.
Parallèlement, l’électeur de Saxe construit aux alentours plusieurs édifices baroques magnifiques. Großsedlitz compte parmi les compositions de jardin les plus spectaculaires et les plus particulières. Les travaux commencent en 1723, mais les imposants jardins baroques sont véritablement conçus dans les années 1725-1730, par l’architecte français Zacharias Longuelune. Knöffel et Pöppelman contribuent également à leur installation.
L’ensemble, bien qu’inachevé, est articulé suivant une succession de terrasses à échelle monumentale. De larges escaliers, des bassins, des jeux d’eau et un monumental escalier d’eau concourent à donner une image grandiose du site. De denses et hautes haies encadrent le promeneur, les bosquets ombragés alternent avec de larges vues sur les jardins et une perspective à l’infini sur le paysage. Plus de soixante sculptures baroques en grès et des centaines de plantes d’orangerie en pots soulignent la magnificence du lieu. Parmi les particularités de l’ensemble, se distinguent les spectaculaires "Orangerie supérieure" et "Orangerie inférieure". L’orangerie supérieure surplombe les "parterres supérieurs" et le grand parterre d’eau, aujourd’hui enherbé, faisant face à l’escalier d’eau.
"L’orangerie inférieure", de construction plus tardive, est située entre le boulingrin et le parterre de l’orangerie, semi-circulaire. Les jardins sont construits avec plusieurs lectures possibles, les parterres se succédant différemment suivant les axes vus des bâtiments respectifs.
Château de Wesenstein (Vallée de la Müglitz)
Cette forteresse perchée sur un roc, témoin de son origine défensive, a été transformée au fil des siècles en demeure Renaissance puis baroque. Sa curieuse et imposante structure domine un parc paysager et un jardin ordonnancé dont l’extrémité est fermée par une tonnelle de charmilles encadrant un ravissant pavillon baroque.
Nous déjeunons, au soleil, sur la terrasse supérieure du château, avec une vue magnifique sur le jardin
Jardins du château de Pillnitz (Rive gauche de l'Elbe)
En 1706, Auguste le Fort offre à sa favorite, Anna Constantina von Cosel, un petit château avec son domaine et son vignoble. L’architecte Pöppelmann est chargé de transformer le domaine en un ensemble somptueux pour de grandes fêtes. Les travaux s’échelonnent de 1723 à 1736 avec la construction de plusieurs bâtiments. Le "palais de l’eau", avec ses toits à l’imitation de pagodes, sa façade baroque jaune et rose et ses escaliers descendant vers le fleuve, est un exemple extraordinaire d’influence chinoise, en vogue à l’époque. Auguste le Fort y accostait en gondole, en venant de Dresde par l’Elbe.
Le parc de 28 hectares présente des caractères divers. Si les abords du "palais de l’eau" gardent un style régulier et se composent de suites de chambres de verdure, le "palais de la montagne" jouxte un vaste espace paysager avec des éléments de jardins anglo-chinois et un parc planté au XIXe siècle. Plusieurs arbres sont remarquables et certains très curieux....
Le camélia de Pillnitz est la chose la plus incroyable que nous ayons vue ! Ce Camelia japonica, offert en 1776 par le Kew Garden de Londres, est le premier camélia introduit dans la partie septentrionale de l’Europe. En 1801, on décida de planter le petit arbre en pleine terre.
Aujourd’hui âgé de plus de 250 ans, cet arbre, de 9 m de circonférence et de hauteur, se couvre de milliers de fleurs simples rouges de la mi-février à avril.
Une attraction prisée par tous les visiteurs de Pillnitz. Le problème de l’hivernage s’amplifiant au fil du temps : la plante ne supportant pas les fortes gelées, il fallait édifier chaque année une protection adaptée, le plus souvent en bois. En 1992, une serre mobile de 13,2 mètres est construite à proximité de l’arbre. Dès l’approche de l’hiver, les grandes portes sont ouvertes et la serre "se met en mouvement" électroniquement, avec un système de rails et de vérins permettant de coulisser et d’enclaver le camélia !
Le royaume des jardins de Dessau-Wörlitz (Saxe-Anhalt)
Sous le règne du prince Léopold III Friedrich Franz d’Anhalt-Dessau (1740-1817), un vaste projet de conception paysagère est mis en place, s’étendant à toute la principauté. A partir de 1764 et pendant quarante ans, 112,5 hectares de jardins paysagers, les premiers d’Europe continentale, sont créés, basés sur les jardins paysagers anglais et l’architecture néo-classique.
Le domaine de Wörlitz, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2000, est considéré comme l’incarnation des principes philosophiques du Siècle des Lumières en Allemagne : "le royaume des jardins de Dessau-Wörlitz est un exemple exceptionnel de conception paysagère et d'urbanisme du XVIIIe siècle, le Siècle des Lumières.
Ses divers composants – édifices remarquables, parcs paysagers, jardins à l'anglaise et pans de terres agricoles subtilement modifiés – remplissent de manière exemplaire des fonctions esthétiques, éducatives et économiques".
Dès 1758, le prince modernise le système de culture en développant l'usage des engrais et en remodelant le paysage selon des critères esthétiques et philosophiques.
La notion d’accès du public aux bâtiments et aux terrains est un reflet de la pensée du Siècle des Lumières. La "ferme ornée", l’agriculture, comme fondations de la vie quotidienne, s’intègrent à ce paysage. Dans un sens "rousseauiste", l’agriculture remplit un rôle pédagogique.
À partir de 1770, le prince d'Anhalt-Dessau fit aménager à Wörlitz un premier pavillon dans le style palladien, ainsi qu'un jardin anglais.
A notre arrivée en fin de journée, Pierre de Filippis nous a réservé une surprise : deux barques et leurs "gondoliers" nous attendent, pour une promenade apéritive au fil de l’eau. Sans musique mais avec moustiques…
Nous passons sous des ponts et découvrons des mondes nouveaux, l’eau semble jouer avec la terre alors que le coucher de soleil inonde la rotonde, modèle du temple de Vesta à Tivoli, d’une lumière rougeoyante.
Le lendemain matin est réservé à une grande promenade autour du parc et à la découverte des nombreux édifices et fabriques évoquant les voyages du prince à travers l’Europe.
Un chemin mène à une île où s'entremêlent différents paysages méditerranéens, dont une représentation du Vésuve, prêt à cracher le feu et une réduction de la Villa Hamilton. Plusieurs temples, des grottes, des sculptures montrent l’admiration du prince pour la Grèce antique, Rome et la culture classique.
Orianenbaum
Situé à proximité de Wörlitz, marqué par une influence néerlandaise Oranienbaum est considéré comme un exemple précoce et rare de l'architecture baroque et de la conception des jardins en Allemagne. Un pont de pierre relie l'arrière-cour du palais à un reste de grand parterre régulier donnant sur le parc aux cerfs.
Dans la partie nord du parc, un jardin anglo-chinois est créé à la fin du XVIIIe siècle par le fondateur de Wörlitz. La pagode, inspirée des descriptions de William Chambers, apparaît dès l’entrée dans le jardin. Le monument, achevé en 1797, est édifié sur un monticule qui le rehausse et offre un point de vue plus imposant.
A l'extrémité sud du parc, l’une des plus longues orangeries d’Europe, construite entre 1812 et 1818 dans un style classique, mesure 176 mètres et sert à abriter et à cultiver des agrumes.
Dessau
Dessau est la ville du Bauhaus, un important mouvement artistique né à Weimar en 1919, puis déplacé en Saxe-Anhalt de 1925 à 1932 avant d’être dissolu par les nazis en 1933 à Berlin. Ce mouvement de l’art sera, en partie, à l’origine de l’architecture et des arts modernes. Pierre de Filippis nous montre le bâtiment principal et les maisons de Kandisky et de Marcel Breuer, édifiées sous la direction de Walter Gropius. Nous déjeunons sur les rives de l’Elbe au restaurant Kornhaus, construit en 1929 par l’architecte du Bauhaus Carl Fieger.
Mosigkau
Cette demeure patricienne du XVIIIe siècle entourée d’un agréable jardin sera la conclusion de notre voyage. C’est un petit château rococo bâti entre 1752 et 1757 comme résidence d’été du prince François d’Anhalt-Dessau. La tante du prince Frédéric en hérite et fait dessiner les jardins "à la française". Elle ne reçoit au château que des femmes...la propriété devient après la mort de la princesse jusqu’en 1945, une fondation pour demoiselles non mariées de l’aristocratie protestante.
Au fond du parc, un cimetière émouvant, aux tombes simplement recouvertes d’un tapis de lierre, rappelle les dernières pensionnaires du lieu.
Nous sommes reçus par le jardinier en chef, un solide gaillard aux allures charmantes. Le jardin régulier se dote de grandes haies de charmes qui sont taillées une fois par an entre le 15 juin et le 15 août, à l’aide d’une nacelle électrique. Les finitions sont effectuées à la cisaille à main. Un labyrinthe se situe près de l’entrée et nécessite un entretien plus important. En effet, le chemin étroit, entre 60 cms et un mètre de large, implique cinq à six tailles régulières par an pour une circulation aisée dans le labyrinthe.
Ce ravissant petit jardin nous réserve d’autres surprises, notamment un pavillon rustique dans une chambre de verdure.
Plongés dans l’atmosphère fascinante des XVIIIe et XIXe siècles allemand, nous nous sommes laissés porter par le souffle de l’histoire qui émane de tous ces jardins. De l’exubérance des résidences baroques d’Auguste le Fort jusqu’aux formes idéalistes du royaume des jardins du prince d’Anhalt-Dessau, ces représentations opulentes et artistiques symbolisent à travers la nature façonnée le pouvoir et la volonté d’un monde idéal.