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" Jardins en évolution " Une journée au bord de la Loire - juillet 2006

Trois sites visités en remontant le cours de la Loire.

© APJRC / Michèle QUENTIN

Le jardin du château Royal d’Amboise, un goût d’Italie en Val de Loire
Un peu d’histoire pour comprendre le jardin…
Dès l’époque gallo-romaine, Amboise fut un site défensif et …malmené. Les origines du château remontent au VIIIème siècle.
L’accession au trône de Charles VII marque un tournant décisif pour Amboise : le jeune roi né dans cette ville y reste très attaché et décide en 1491 la reconstruction de la forteresse.
Lors de ses expéditions en Italie, Charles VIII a découvert le faste et le raffinement italien et s’est émerveillé de la beauté des jardins locaux. Il ramène un mobilier important et fait appel à Pacello de Mercogliano – horticulteur napolitain – pour aménager les jardins de la demeure royale. Le roi fait tracer par le jardinier, sur la terrasse d'Amboise, un jardin d'ornement. En 1495, il emploie deux maîtres maçons, Dominique de Cortone et Fra Giocondo pour donner une allure royale à sa demeure : une architecture nouvelle : « le style Renaissance ». Cette époque marque le début de l'influence italienne sur l'art français, les français puisent dans l’art italien leur inspiration.

Le style nouveau du jardin réalisé par Pacello est reconnaissable sur le plan dressé par Androuet du Cerceau en 1570. Sur la terrasse, côté Loire, le moine paysagiste a construit non seulement un jardin fermé, d’introspection, tel que l’on le concevait à l’époque gothique mais également ouvert vers l’extérieur. Une galerie en bois ceint l’intérieur et la maçonnerie de pierre dessine des fenêtres sur le panorama : l’œil embrasse le bâti, le paysage et le jardin. Ce jardin qui révèle un jeu double, déjà réalisé en Toscane et au royaume de Naples, association subtile des parterres et de l’architecture, constitue à l’époque une grande nouveauté en France.
La géométrie des parterres et le dessin des motifs sont les grandes règles de ce style de jardins. On peut imaginer des rectangles de même dimension délimités par quatre genévriers, des plantes en pots, du gravier, du sable ou des briques à même la terre, des herbes aromatiques. L'art topiaire se développe et ses formes géométriques ou figuratives avec des essences comme le buis, le lierre, le cyprès, l'if et le myrte se prêtent particulièrement aux tailles en sphères, en cônes, en pyramides, en cubes ou en obélisques.

Après la mort accidentelle de Charles VIII, Louis XII puis François Ier poursuivent les travaux. Passionné par les arts, ce dernier fait venir à Amboise en 1516 le plus grand des génies de l’époque, Léonard de Vinci, qui passera au Manoir du Clos-Lucé les dernières années de sa vie et y sera enterré.
Le château connaît ensuite une très longue période de brouillaminis.
En 1762, Louis XVI fait don du château au Duc de Choiseul. Tombé en disgrâce, celui-ci s’exile à Amboise et fait construire la Pagode de Chanteloup dans le parc du château de Choiseul. La révolution ravage le château royal. Au début du premier Empire, Napoléon donne le château à l'ex-consul Pierre-Roger Ducos, qui procède à un démantèlement organisé. En 1815, le château change de nouveau de propriétaire. C’est à Louise Marie Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, Duchesse d’Orléans, qu’on le restitue. A sa mort, en 1821, son fils, le futur Louis-Philippe en hérite. C’est l’époque du paysage « calqué », on enfouie l’ancienne forteresse sous des monceaux de terre pour créer un nouveau jardin au goût du jour planté d’essences à la mode pour éviter les travaux de restauration.
En 1848, l’État reprend possession du château et en fait une prison d’État. De 1848 à 1852, Abd El Kader y est emprisonné. Un jardin de mémoire récemment créé en haut du parc témoigne de cette époque.
En 1873, le château est à nouveau restitué à la famille Orléans qui le transforme en maison d’accueil pour les personnes âgées. Les jardins vont souffrir dans les années suivantes d’une lente dégradation, non pas qu’ils ne furent pas entretenus mais parce que la perception de leur identité s’est petit à petit émoussée. La première ouverture au public date de 1840 et l’actuel programme de réaménagement du jardin a commencé en 2001.

Un site en pleine renaissance
Surplombant la ville d'Amboise, les jardins du Château offrent l'un des plus beaux panoramas du Val de Loire.
Quatre ensembles les composent : l'esplanade d'Honneur, la terrasse Nord, la partie boisée sur toute la partie Est, le fossé et le bastion extérieur. On accède au château en remontant la rampe anciennement empruntée par les gardes à pied vers la tour Heurtault avant d’atteindre les terrasses.
Jean-Louis Sureau, conservateur du site, nous guide durant toute la visite. Ses explications et son engouement pour Amboise feront de cette matinée un moment rare d’instruction et de réflexion.
« Le jardin du château d’Amboise fait partie de la mémoire du lieu, il doit rester un accompagnement végétal du monument. Sa restauration actuelle représente une véritable création contemporaine, au delà du pastiche historique » : c’est avec ce souci permanent que Jean-Louis Sureau commence ses propos.

Le site est un haut lieu touristique, attirant 350 000 visiteurs par an. Un effort constant est donné à la présentation. Dès l’entrée, au pied d’une vénérable glycine plantée vers 1840, le parterre est composé à cette saison de fleurs de dominante bleue. Chaque massif est reconstruit deux fois par an. Il s’agit de faire plaisir aux visiteurs mais également de leur donner des idées, les faire rêver à des choses plus audacieuses. Ils ne viennent pas ici pour voir ce qu’ils ont chez eux…Et si la partie esthétique est subtilement dosée, la partie didactique est présente avec un étiquetage précis et soigné.
Le parc de 2 hectares est maintenant redessiné dans l’esprit des jardins italiens. Du jardin paysager du 19ème siècle, il ne reste qu’un cèdre du Liban et un vieux chêne liège. Après la tempête de 1999, la décision a été prise d’enlever tous les arbres issus de semis spontanés. Un souci de cohérence : on ne voyait plus la ligne de fortification et le portail d’entrée. Les essences replantées sont d’inspiration méditerranéenne : Quercus Ilex et Carpinus betulus.
Le « jardin de Naples » constitué d’un mail de tilleuls sur le flanc nord des remparts est situé sur l’emplacement même du jardin réalisé par Pacello da Mercogliano à la fin du 15ème siècle.

Une longue étendue d’herbe est délimitée par les anciennes fortifications. Il a fallu creuser pour retrouver ces vestiges, mémoire historique comblée au fil de propriétaires et de générations. Les remparts sont actuellement en cours de restauration et des études sont menées pour assurer l’étanchéité des allées.
Du haut de la terrasse, nous découvrons une vue splendide sur la Loire. Le sol est planté de buis taillés en boules venus d’Italie. En retrait, des charmes sur tiges apportent un ombrage bienfaisant en cette journée torride. Les jeunes troncs sont blancs, chaulés en prévention des échaudures, notamment sur le flanc exposé au sud-ouest. Le chaulage est une vieille méthode utilisée à l’origine contre le risque de brûlures solaires sur les fruitiers. Cette méthode est toujours utilisée dans les jardins de Versailles, et notamment sur les arbres d’ornement.
Sur le côté, le grand fossé est resté dans l’état des aménagements romantiques du 19ème siècle. Un projet de verger est en cours d’étude, avec des sujets sur tiges.

Les talus d’appui de la muraille ont été entièrement restructurés. Jean-Louis Sureau nous explique qu’il fallait rendre ce talus « aimable et doux » et accompagner le mouvement tournant tout en gardant l’esprit italien qui s’inscrit dans le site avec les buis, les cyprès et les chênes verts qui sont progressivement réimplantés sur la partie haute du jardin. Un moutonnement de buis a été créé.
Sur la pente, une allée serpentine conduit au futur jardin du midi qui sera un lieu de repos planté d’essences méditerranéennes, offrant une vue panoramique de la ville.

Tout le jardin s’inspire de l’Italie et veut montrer au visiteur l’influence du goût transalpin sur l’art français. L’effet de transparence a été volontairement recherché pour inciter le visiteur à découvrir l’endroit. En totalité, 1 600 boules de buis ont été plantées dans le parc et la taille s’effectue à la cisaille à main et au gabarit. En revanche, Jean-Louis Sureau émet néanmoins des réserves sur la variété choisie au départ, Buxus macrophylla rotundifolia, qui lui occasionne de nombreux problèmes sanitaires. L’état des sujets s’est cependant amélioré en décalant la taille de printemps à l’automne.

Le jardin d’Orient
Il retrace un épisode de la détention de l’Emir Abd el-Kader et de ses compagnons entre 1848 et 1852, époque durant laquelle le château d’Amboise était une prison d’Etat. Un monument à la mémoire des membres de sa suite décédés à Amboise à été érigé dans le haut du parc du château autour d’un aménagement paysager conçu par Rachid Koraïchi. Le jardin, conçu l’an dernier, est un jardin qui crée une histoire : 25 stèles en pierres d’Alep gravées de sourates du Coran sont disposées symboliquement et 7 cyprès, tels les 7 dormants, veillent. Une grande ligne verte de romarin est dirigée vers la Mecque.
Sur cette parcelle de terrain, on a laissé volontairement les restes des défunts protégés par des plantations légères, au système racinaire peu profond : Trachelospermum jasminoïdes et Artemisia schmidtiana « Nana » apportant douceur et raffinement à ce jardin de méditation et de contemplation.

Si Pacello de Mercogliano fut un précurseur à Amboise en 1495, le jardin à l'italienne, avec ses parterres géométriques, ses topiaires, fontaines, bassins et sculptures, influencera définitivement les jardins français du 17ème siècle.
Le jardin à la Française a intégré tous ces éléments en y ajoutant une dimension royale qui s’épanouira sous Louis XIV.


Le jardin du Feuillet
Souvigny-de-Touraine est un village en grande partie boisé et traversé par le cours sinueux de l'Amasse. Sur la route de Mosnes se trouve Le Feuillet. Cette ancienne bâtisse du 16ème siècle a gardé ses allures de maison forte qui se sont adoucies avec l ‘élégance du jardin. Depuis plus de 10 ans, Brigitte Thouveny a modelé le domaine et apprivoisé la friche sur 15 000m2. Il a fallu aplanir le terrain, créer un muret, construire des escaliers. La pelouse remplit le dessin d’une large croix de saint André. Des contreforts de buis s’appuient sur le vieux mur de gauche et délimitent des tableaux végétaux monochromes : jardin blanc, jaune, rose…
Il fallait également une architecture végétale forte pour répondre au caractère de la maison. De grandes haies d’ifs taillées en berceau structurent la partie droite du jardin, doublées sur l’arrière d’une haute charmille dont les fenêtres intérieures rappellent l’ancien bâti. Joli contraste des deux végétaux, on se laisse à imaginer le vert sombre de l’if faisant ressortir le feuillage marcescent du charme un jour de froid. « J’aime mon jardin en hiver » nous déclare Brigitte Thouveny. Et nous comprenons l’importance de la structure du jardin, de ces topiaires à l’italienne, du dessin bien formé qui imprègne l’espace.

Un jardin structuré
Tous les ifs ont été plantés jeunes sujets, en provenance de Belgique. Un dessin a été réalisé avant la plantation et des gabarits créés pour la taille qui s’effectue une fois par an au début de l’été, parfois en septembre.
Les plantations sont simples et élégantes. La priorité est donnée au minimum d’entretien. A l’entrée de la maison, le printemps voit éclore une large bande de narcisses blancs bordant la haie d’ifs taillés en vagues. Une autre bande de Geranium endressi souligne de sa floraison estivale rose le bord des douves sèches. La promenade continue, ponctuée de topiaires et de nombreux rosiers. La maîtresse des lieux affectionne les rosiers lianes, qu’elle raccourcit au …taille-haies ! Toujours ce souci permanent d’une gestion la plus simple possible. Les sarmenteux American Pillar, Kew Rambler et François de Juranville ne se portent pas trop mal. Même Guirlande Fleurie, le seul rosier rouge de la propriété, porte une abondante floraison tout l’été.

La plate-bande d’iris couvrant les caves animera ce coin de jardin au printemps. Les ifs taillés en « bac à oranger» assurent un décor permanent.
Depuis sept ans, une parcelle d’un hectare sur le côté de la propriété est consacrée aux arbres et arbustes de collections, pour la plupart provenant de l’arboretum des Barres .

La promenade se termine par le jardin arrière agencé selon une structure bien nette. Des losanges de buis taillés à 75 cms abritent des rosiers blancs Iceberg et Nevada et de l’armoise grise : un décor simple mais toujours d’un grand raffinement. Le long des murs, des tapis d’Euonymus rosissant en hiver et des pyracanthas à baies rouges rappellent une vie antérieure alsacienne.
Quelques viburnum botaniques viennent égayer le sous bois environnant mais ne peuvent rivaliser avec la masse d’Hydrangea Annabelle actuellement en fleurs. Soutenus par des bambous, ils semblent déborder des fenêtres du rez de chaussée.


La 15ème édition du Festival International des Jardins de Chaumont-sur-Loire
Tous les ans, de nombreux paysagistes, horticulteurs, designers, artistes, architectes et étudiants se présentent au concours international - thème 2006 : Jouer au jardin – Christian Mary, nouveau directeur et administrateur de Chaumont, et toute son équipe ont su relever le défi en nous présentant 26 nouvelles créations amusantes, innovantes et une profusion de nouvelles plantations.
Amateurs et passionnés déambulent dans les jardins, explorent les pistes proposées avec chaque mise en scène interactive et par la canicule qui sévit depuis de nombreux jours, grands et petits expérimentent avec joie tous les jeux d’eaux.

A nous de jouer !
A l’abri des plantes grimp’tentes. Une tente jardin où les grimpantes prennent d’assaut une résille qui envahit elle-même la parcelle, créant des caches, des refuges et des réceptacles d’odeurs.
Oh j’aime ! OGM pas ! Ce potager faussement ordinaire propose une réflexion humoristique (et grinçante) sur les OGM. Le créateur a joué aux apprentis sorciers et l’on découvre vite derrière les rangées de légumes familiers un monde dissonant où fioles, alambics et pipettes remplacent les traditionnels outils de jardinage. Puis le potager tourne au loufoque et à l’insolite avec la coloquinte à œufs, la tomate à hémoglobine, le céleri à sel et l’arbre à saucisses de Toulouse…. Tout cela politiquement incorrect mais très drôle.
Echiquier pour Alice, paysage mobile. Alice de l’autre côté du miroir inspire ici un jeu d’échecs géant. Sur l’échiquier composé d’un damier végétal et minéral, chaque pièce monumentale sur roulettes est une composition florale déclinée en rouge ou blanc et dont le choix des plantes, leur disposition et la combinaison d’accessoires spécifie la dénomination dans le jeu. Depuis deux hautes chaises d’arbitres, on peut superviser la partie et le jardin bouge avec les pièces déplacées.
Flower’n’roll. Des énormes ballons aux couleurs de l’arc-en-ciel glissent sur des lisses parallèles. Le visiteur recompose le jardin en déplaçant les boules géantes : un jeu à l’échelle démesurée.
Marelle d’eau. Nous voici revenu à l’heure de la « récré » sauf que le jeu de marelle affleure au centre d’un bassin et que chaque saut sur une case provoque un jeu d’eau : pluie, bulles, brume, jet.
Le jeu de Vénus et du hasard. On accède à un bassin d’où les pièces d’un puzzle, émergeant de la végétation aquatique, dérivent lentement. Le puzzle représente « La naissance de Vénus » de Botticelli, célèbre tableau qui évoque Vénus, debout sur une coquille et poussée vers le rivage par deux divinités du vent. Ainsi le vent, comme il a poussé Vénus vers la rive, joue ici à assembler les pièces du puzzle.
Folie douce à la Villa Conchiglia. Un clin d’œil aux grottes ornées de coquillages qui agrémentaient les sublimes jardins de la Renaissance italienne.
Imaginoir. Un chemin mène à une montagne de sable blanc. Le visiteur est amené à creuser le sable, au fil de la saison, on pourra découvrir les étranges personnages qui y sont ensevelis.
Chant de bambous. Un cube de bambous secs, sonores et lumineux, suspendus au centre d’un bosquet de grands bambous vivants. Belle image, jeu et contraste des essences différentes cependant c’est en pénétrant dans le labyrinthe de bambous que l’on peut toucher et créer des bruits et des ambiances.
Même pas peur. Un bois sombre, peuplé d’ombres, de branches spectrales et de monstres rampants. On revit instantanément les frayeurs de notre enfance toutefois le chemin sinueux mène à une clairière lumineuse, le pays des fées. C’est à notre tour maintenant de jouer à faire peur : en criant, soufflant, chantant ou grognant dans les larges tuyaux dorés tortueux, on s’amuse à faire frissonner les autres visiteurs.

Le parc du Festival fait 3 hectares et les trente parcelles en forme de feuille, dont le dessin final représente un tulipier de Virginie, mesurent chacune environ 240 m2. Chaque parcelle est donc identique dans sa taille et l’impression, parfois très forte, que leur taille varie, vient en fait du travail d’aménagement réalisé à l’intérieur de chaque jardin.

Le Festival est aussi un jardin
Les allées du festival présentent des compositions originales et un soin particulier est apporté aux plantations par l’équipe des jardiniers de Chaumont. Des massifs à thème, des idées de mise en scène, des végétaux adaptés aux différents types d’exposition et de terrain offrent au visiteur une source d’inspiration.

Outre les plantations colorées et variées entre chaque parcelle, il existe également trois jardins permanents :
Le Jardin expérimental, situé près de l’entrée haute de Chaumont, s’inspire du plan du premier jardin botanique créé à Padoue en 1545. Le jardin présente des collections originales et garde en mémoire les meilleure réalisations des précédents festivals : murs végétaux (le premier mur végétal de Patrick Blanc est né à Chaumont), saules tressés, gabions, boule en acier du jardin « Métaphore » et un énorme topiaire en forme de lapin accroupi.
Le sentier des fers sauvages où l’on chemine dans un sous-bois agrémenté de fabriques insolites en métal et ferraille.
Le Vallon des brumes consiste à une promenade au dessus du sol et sur des terrasses suspendues. Fougères géantes, plantes asiatiques et raretés japonaises provenant des expéditions botaniques de Patrick Blanc offrent au visiteur un dépaysement total cependant que le fond du vallon se couvre d’un manteau de brume.