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" Jardins contemporains ", une journée en Normandie, aux environs de Rouen - octobre 2005

Les visites de jardins représentent toujours une excellente occasion de se retrouver et d’échanger. Le thème de la journée était de la comparaison de trois conceptions de jardins contemporains.

© APJRC / Michèle QUENTIN

Les visites jardins représentent toujours une excellente occasion de se retrouver et d’échanger. Le thème de la journée était de comparer trois conceptions de jardins contemporains et d’en analyser ensemble les points forts et les faiblesses.


Le Clos du Coudray, à Etaimpuis
Le nom du jardin vient du hameau dont il fait partie, et « Coudray » n’est autre que la contraction de « coudrier », ancien nom du noisetier.
Jean Le Bret, journaliste bien connu des revues de jardinage, réalisa ce jardin « à la main » : des années à défricher, planter, construire, agrandir, acclimater de nombreuses espèces, les disposer de mieux possible comme une scène qui surprendra le visiteur à chaque pas.
Aujourd’hui, le Clos du Coudray comporte plus de 8000 espèces et variétés végétales réparties sur 20.000 m2, cinq jardiniers s’affairent et une grande pépinière offre un choix important de végétaux aux visiteurs.

Dans le jardin de rocaille, une collection de Persicaria forme un tapis de fleurs roses. Persicaria vaccinifolia et P. runcinata sont des plantes intéressantes pour former des nappes sur graviers. Dans le jardin des plantes vivaces, quelques annuelles apportent de la couleur dont une capucine rose soutenue. Nous remarquons une volubile capucine grimpante aux fleurs jaune orangé Tropaeolum tuberosum « Ken Aslet », originaire de d’Amérique du Sud. Cette plante est cultivée ici comme un dahlia, le bulbe est déterré et mis au sec durant l’hiver.

Lors de la visite, il se dégage une atmosphère très apaisante, c’est comme un jardin de maison de famille un peu sophistiqué. Les plantes sont souvent rares, les couleurs sont denses et semblent réchauffer le ciel normand. En allant de jardin à thème à d’autres jardins, des ouvertures reposent le regard et agrandissent l’espace.
Tout semble évident mais un œil exercé compte bien les heures de travail et de réflexion que ce jardin a nécessité. Au début, le fossé de drainage qui contournait la maison fut peu à peu aménagé en ruisseau permanent. Puis les travaux consistèrent en un jardin dallé reliant le potager à la maison, en y installant de nombreuses plantes pour briser la monotonie d’une telle allée C’est maintenant le « jardin Arc en ciel » avec une collection de plus de 500 variétés d’iris . Un bassin fut ensuite implanté dans le jardin, là où les inondations étaient assez fréquentes. Le bassin fut recreusé plus tard, les berges agrandies et aujourd’hui un petit pont japonais enjambe le ruisseau qui alimente ce bassin.

En 1990, Jean Le Bret dessine le « Jardin blanc », le « jardin des hostas » et la pergola. Après traçage à l’aide de ficelles et de tuyaux d’arrosage, il marque les contours à la bêche, puis ôte la couche de gazon afin de surélever les allées par rapport aux plates-bandes. Cette couche de gazon fournira plus tard un excellent compost.
La pergola est peinte en noir, car cette couleur « amincit » les formes, la faisant paraître ainsi plus légère, plus aérienne. De plus, le noir est une « absence » de couleur, il s’harmonise avec tout. Un rosier liane, une vigne de Coignet, un chevrefeuille et un Akebia quinata volubile cohabitent et échelonnent leurs floraisons et leurs colorations. Pour créer une unité dans le jardin, toutes les constructions qui ont suivi ont été également teintées en noir.
En 1992, le grand ruisseau qui traverse la partie sud du jardin dans toute sa longueur est aménagé, les berges plantées ainsi que la plate-bande d’automne et le premier jardin de graviers.
Lorsque le jardin ouvre au public en 1993, de nombreux travaux restent encore à faire pour le terminer dans sa totalité. Une extension de la première partie de la rocaille est réalisée dans un premier temps.

La construction des serres de productions laisse une étroite bande de terre coincée entre le chemin de la Vierge et les nouveaux bâtiments . Cette langue de terre de 100 mètres de long, large de 40 mètres au nord, se réduit à une largeur de 12 mètres à son extrémité sud ! Jean Le Bret a l’idée de transformer ce terrain presque parfaitement plat en un fossé géant, humide et verdoyant…le « Sentier exotique ». Le visiteur se promène sur un chemin ondulant et complétement dépaysant, bordé de plantes géantes et de feuillages luxuriants.
Laissons la parole à Jean Le Bret « La totalité de ce jardin a été réalisé par 2 personnes seulement, avec des moyens, somme toutes, à la portée de beaucoup de jardiniers. Evidemment, il ne faut pas compter son temps, ni avoir peur de mettre les mains dans la terre, mais en faisant réaliser le terrassement par un professionnel, pour le reste seuls quelques outils de base sont nécessaires : bêche, croc, pelle, râteau plus une bouteille de propane pour souder le liner et le tour est joué. Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? »

L’acquisition d’une parcelle de 5000m2 a permis d’ajouter récemment deux facettes au Clos du Coudray : le jardin de dahlias et le jardin de gravier planté de graminées. Un premier terrain plat, compartimenté par des haies d’ifs , présente l’étonnante collection de dahlias. En cette saison, c’est une explosion de couleur et de bigarrure, un pied de nez à la morne plaine normande environnante. Le second jardin contraste avec un relief dessiné, accentué par le chemin sinueux et la végétation posée sur les graviers blancs.
Aux défilés organisés des régiments de dahlias multicolores succède la cavalcade monochrome des graminées marquées des étendards roses et bleus des grandes sauges.


Le jardin Agapanthe à Grigneuseville
Situé au coeur du village de Grigneuseville, ce jardin original est la création d’Alexandre Thomas, architecte-paysagiste. Commencé il y a quinze ans, il se compose de scènes aux ambiances variées, de bassins, pergola, terrasses et fontaines dans un dédale de 6000 m2
Agapanthe est un jardin sans gazon, un jardin labyrinthe qui se veut intimiste. La végétation est dense, parfois étouffante et l’on aimerait de temps en temps « une respiration » ou une ouverture vers l’extérieur. Ce jardin est clos et centré sur lui-même. L’intégration de plusieurs maisons peut faire penser à un petit village.
Le jardin se compose d’une vingtaine de scènes différentes : jardins d'ifs, sous-bois, descente exubérante, allée des agapanthes, des senteurs, jardin en creux, jardin méditerranéen…L’espace est très travaillé au niveau des volumes, avec des talus et de continuels changements de niveau qui accentuent l’effet de labyrinthe.
La répétition d’éléments persistants comme les ifs, les bambous, les buis, les céanothes persistants sert de fil conducteur et permet de passer d’une ambiance à une autre. Topiaires d’ifs et de buis à la découpe apprêtée abondent dans le jardin et apportent une note très contemporaine.
Les bordures ponctuées de boules de buis jouent le rôle d’encadrement aux circulations du jardin. Leur tracé rectiligne ou courbe est respecté par une taille répétée trois fois par an. Buxus sempervirens “Suffruticosa” est utilisé ici en grande quantité (cinq cents buis environ).
Des hostas en pot sont présentés dans les carrés de buis. Nous notons aucune présence d’escargots ou de limaces ce qui est assez rare avec cette plante souvent dévorée par les gastéropodes.

Alexandre Thomas joue sur les contrastes de couleurs, de formes et de matières et incorpore de nombreux éléments architecturaux : pergola, ponts, marches, grandes dalles au sol, graviers, cailloux…
La pergola métallique émerge du jardin. Moins large à son extrémité. cela crée un effet d’optique qui permet de donner plus d’ampleur à la vision. L’eau est omniprésente dans le jardin, calme dans la mare, ondoyante dans les ruisseaux et bruyante dans les bassins et fontaines. Des massifs d’Hydrangeas apprécient particulièrement cette ambiance fraîche et le climat normand.
La priorité est donnée toutefois plus à la scène de jardin qu’à la collection de végétaux. Les mouvements de terrain donnent certes un dessin très personnel au jardin cependant le foisonnement des scènes laissent peu de repos au visiteur. La créativité du concepteur s’exprime souvent avec talent dans ce jardin mais si les ambiances font le charme d’un jardin, trop d’ambiances égarent le promeneur.


Le jardin plume à Ouzouville-sur-Ry
La pépinière et le jardin, ouverts à la visite depuis trois ans, sont situés sur un plateau normand exposé plein sud mais balayé par les vents. C’était à l’origine un verger et une pâture à moutons.
L'installation du jardin a commencé au printemps 1998, avec le projet de créer un jardin contemporain de vivaces colorées et de graminées s’intégrant dans le paysage environnant. En effet, nous sommes en pleine campagne et aujourd’hui le jardin plume s’assimile parfaitement dans le paysage, comme une perle sophistiquée dans un océan vert.
L’ancien verger devant la maison a été conservé, en lui donnant une structure en quadrillage. Des "carrés d'herbes hautes » de 8m sur 8m apportent une dimension supplémentaire au terrain plat. L'un de ces carrés, placé dans l'axe de la maison, a été remplacé par un bassin miroir dont le niveau affleure la pelouse. Le ciel normand, si changeant, s’y reflète.
Le jardin devant la maison présente un tracé rigoureux qui contraste avec l’exubérance des couleurs et des végétaux. De hautes haies d’ifs taillés prolonge les côtés de la fermette et protége des vents soutenus. Deux ouvertures en pendant mènent au jardin de printemps et au jardin d’automne.

Dans ce jardin au dessin classique rehaussé par de petites haies de buis taillés à une soixantaine de centimètres, le plan est simple, des ouvertures dans les carrés de buis rompent la monotonie et facilitent l'entretien des plantes. Des passages étroits permettent également de bien circuler entre les massifs et la hauteur des haies sert de tuteur aux grands vivaces et aux dahlias.
Sylvie et Patrick Quibel ont choisi des plantes aux teintes de feu : vrais rouges écarlates, jaunes, ors, orangés, bronzes. Les plantes installées ici doivent se satisfaire d’un terrain riche mais argileux, humide et froid en hiver tout en supportant le plein soleil en été sans arrosages. Une sélection de Dahlias, Helenium, Miscanthus choisis pour leurs colorations automnales, Carex doré et acajou en sont les vedettes en cette saison.
Les dahlias exigent une culture particulière : ils sont arrachés début novembre, stockés au sec hors gel puis mis sous serre courant avril dans de gros conteneurs avant d’être mis en place début juin, assurant ainsi une floraison ininterrompue au jardin du début de l’été à l’automne.

Le jardin de printemps montrera à cette saison la floraison des Astrantia, Aquilegia et Thalictrum, des Helleborus orientalis et H. corsicus, et les énormes bractées jaune chartreux des Euphorbia chariacas « Wulfenii ». Aujourd’hui, on en devine le charme futur à travers la structure des boules de buis taillés et des feuillages persistants des hellébores et des grandes euphorbes.

Sur le côté, on accède au jardin « plume ». Une étonnante haute haie de buis est taillée en vague normande et protége le massif C'est un jardin de légèreté et de transparences qui ondule et se creuse au vent, un jardin de vagues dont les floraisons en sont l’écume. Dans ce jardin, l’architecture des plantes prime sur leur couleur, vivaces hautes et graminées se structurent mutuellement et n’ont pas besoin de tuteur. Verbesina alternatifolia, originaire des Etats-Unis et haute de 2 m rivalise de hauteur avec Arundinacea « Transparent » et Calamagrostis emodensis, du Népal, une graminée peu commune aux épis argentés.
Nous repassons devant la maison pour découvrir le jardin d’automne. Bordé d’une double haie de hêtres dans le fond, ce jardin atteint son apogée à la mi-septembre et l’on a peine à imaginer qu’il soit vide et plat au printemps. Les asters déclinent toutes leurs couleurs, certaines sélections ne sont malheureusement pas encore disponibles en pépinière, à notre grand regret ! Proche parent des asters, mais atteignant près de deux mètres, Vernonia noveboracensis snobe tout tuteur. De grandes Cimifuga ramosa « Atropurpurea « et « Pink Spike » au feuillage bronze font les élégantes de l’automne en compagnie des Polygonum orientalis. L’exubérance de Salvia uliginosa est étonnante, avec ses grand épis bleu azur sur des tiges élancées. Différentes variétés de Miscanthus apportent une note structurale à l’ensemble, avec Miscanthus « Graziella » au feuillage étroit et aux inflorescences blanches très lumineuses. Les floraisons et les feuillages prennent la lumière du soleil couchant, illuminant le jardin d’une tonalité chaleureuse.

Le petit potager est comme le reste, sophistiqué et sans prétention, dans un style naturel qui permet de garder le contact avec le paysage environnant. Un carré de camomille naine, repris en losange à la croisée du chemin parallèle, un tapis de thym rampant, quelques légumes oubliés : le charme est au rendez-vous.
Le climat normand nous a montré ses multiples facettes mais nous a quand même épargné. « Il est tombé des cordes » lorsque nous déjeunions et durant nos trajets en voiture. Au retour, il y eut deux arcs en ciel, joli clin d’œil à cette journée réussie.